Délit d'opinion
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Le délit d'opinion est la version laïque du blasphème. Comme son cousin religieux, il nécessite l'existence d'une doctrine et d'un pouvoir décidé à faire valoir celle-ci et celle-ci seule au titre de pensée unique.
Le pouvoir (détenteur de la doctrine ou de la pensée autorisée) peut agir en amont de l'opinion par la propagande qui popularise la doctrine officielle comme étant la seule valable. Dans la propagande, toute autre opinion que la vérité officielle est déclarée comme dangereuse pour le bien de l'humanité, pour le but commun de la société qui promeut l'idée contraire ; l'opinion délictueuse est contre-productive. Dans les totalitarismes, l'opinion dissidente constitue un crime contre le peuple.
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[modifier] Le pouvoir et ses moyens de pression
Quel que soit le pouvoir, des schèmes de discrimination existent. Le pouvoir peut aussi agir en aval de l'émergence de l'opinion, en discréditant (diffamation, calomnie) les dissidents. Par exemple,
- En France, pendant la guerre d'Algérie, parler de la torture dans la république était un délit et Henri Alleg alla en prison pour son livre La Question. Au bout de 44 ans écoulés depuis les faits, le débat sur la torture pratiquée par l'armée française fut réouvert par les mémoire d'un général, Paul Aussaresses, qui se vantait de l'avoir pratiquée. Il fut condamné par la justice non pour l'avoir pratiquée (il y avait eu amnistie collective), mais pour en avoir fait l'apologie.
- en Égypte, un récent procès de partisans de la démocratie à l'occidentale les a vu inculper d'homosexualité, un délit qui marche bien dans les pays arabo-musulmans et grâce auquel les inculpés ne risquent pas de rencontrer la sympathie de l'opinion publique.
Une autre forme d'intoxication de l'opinion contre la dissidence consiste à diffuser des mensonges sur l'ennemi selon l'expression heureuse de René Girard.
- Particulièrement pernicieuse dans la naissance et l'entretien de l'antisémitisme fut la fable que la cérémonie de Pessah nécessitait le sang d'un enfant chrétien. Normalement, l'accusation aurait dû tomber d'elle-même si chacun avait eu assez d'esprit critique pour se rendre compte que le judaïsme était plus ancien que le christianisme et, de ce seul fait, n'aurait pu se développer si un tel ingrédient rituel lui avait manqué et que, d'un autre côté, cette religion pratiquait l'interdit du sang.
- Les accusations de contre-révolutionnaire ou d'ennemi de la classe ouvrière ou d'opinions bourgeoises ou réactionnaires ont fait les beaux jours des procès staliniens que ce soit en URSS ou en Chine dont la Révolution culturelle reste célèbre pour avoir élevé la chasse aux intellectuels au rang des Beaux-Arts.
- articles spécialisés :
On peut aussi créer une police des consciences, qu'on la nomme commissaire politique ou inquisition, son travail est le même : obtenir du dissident qu'il s'accuse lui-même, obtenir dénonciation ou délation de la part de ses détracteurs. Les deux institutions ont pour objet que le peuple pense bien d'où le nom de bien-pensant décerné à ceux qui sont dans la ligne du parti. Cette action limite la liberté de penser en amont comme en aval. Il en est du dissident comme de l'hérétique : s'il n'est pas dénoncé, c'est un citoyen sans histoire.
On peut aussi discréditer l'opinion dissidente en associant tout partisan de celle-ci à une idéologie honnie, c'est ce qu'on appelle la diabolisation. C'est une déclinaison de la propagande.
- Sur l'internet, le point Godwin stigmatise toute association d'Adolf Hitler ou du nazisme - dans une discussion qui n'a pas trait à la Seconde Guerre mondiale - à l'opinion adverse. L'usage extensif de l'allégation de point Godwin peut devenir une manifestation du terrorisme intellectuel, une manière comme une autre d'empêcher l'expression d'une opinion autre que celle en vigueur majoritairement dans le groupe détenant le pouvoir.
- Au début de la Cinquième République, la délégitimation du vote communiste consistait à dire que ce vote était irréversible et que les chars russes seraient à Paris la semaine suivante.
On comprend donc qu'il n'y a pas de délit d'opinion sans atteinte à la liberté d'expression. L'alibi des organismes de contrôle de la pensée, consiste à dire que le peuple doit être empêché de penser librement en raison de son manque de maturité politique, sans fixer les critères de la maturité politique ou religieuse autrement que par l'argument d'autorité.
- Article spécialisé : secte
Depuis 1793 (déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen) : Nul ne peut être inquiété pour ses opinions même religieuses (Art. 10 rédigé par Rabaud Saint-Étienne) et depuis la Déclaration universelle des droits de l'homme, la liberté d'opinion et son corollaire, la liberté d'expression sont garanties au nombre des libertés formelles et forme le socle de toutes les démocraties car la liberté suppose la pleine responsabilité des citoyens. La liberté politique pourrait-elle s'apprendre ? Selon Emmanuel Kant, il faut être libre pour pouvoir se servir utilement de ses forces dans la liberté. La liberté d'opinion invite à la diversité des points de vues, à la critique et à la contestation pour, au bout des débats, mener à plus de cohérence dans la conscience du groupe. La liberté d'expression peut conduire quelques-uns à l'extrémisme, lequel se retourne contre la liberté d'opinion. Le débat démocratique qui suppose la culture, l'esprit critique et, à la toute fin du processus, la justice égale pour tous sont les meilleurs facteurs de sécurité.
[modifier] Limites à la liberté d'opinion et d'expression
L'autre manifestation du pouvoir pour empêcher la liberté d'expression consiste à instaurer la censure. Elle s'exerce en aval. Les lois de censure peuvent être considérées comme des lois d'exception en cela qu'elles interdisent à un groupe particulier d'exprimer ses idées au prétexte qu'elles sont dangereuses, qu'elles sèment le désordre dans les conscience et la division dans la nation.
La liberté de la presse conduit à l’émergence d’un contre-pouvoir face au pouvoir politique. La pressions des media (le 4e pouvoir), conduit la politique à se priver de ses pratiques officieuses, dès que la presse révèle au public ce qui se trame d’ordinaire dans les coulisses du pouvoir. Au point que partout où la presse est muselée, on peut dire que la liberté s'interrompt.
- Articles spécialisés : délit de presse, lois sur la presse, censure
L'expérience montre que la liberté d’opinion rencontre des limites qui contribuent à la former. Penser n’importe quoi est peut-être possible, mais faire la propagande de n’importe quelle opinion n'est pas innocent. On ne peut penser n'importe quoi. En pratique, la limitation de l'opinion s'effectue par :
- les limitations langagières et ou linguistiques. Nous ne pouvons penser que ce que nous pouvons exprimer dans notre langage. Une maîtrise rudimentaire de la langue, maternelle ou étrangère, limite l'ouverture de la pensée. N’importe quoi veut dire ici : confus, dépourvu de sens, faute d’expression compréhensible.
- les limitations logiques. La quadrature du cercle, cela ne veut rien dire sauf l'expression d'un paradoxe. Certains raisonnements se contredisent et s’auto-détruisent. N’importe quoi signifie alors privé de logique, contradictoire, sans aucun bon sens.
- les limitations morales. Habermas parle d'éthique du débat qui interdit de formuler des opinions portant atteinte à la dignité de la personne humaine. N’importe quoi censure alors le fait de ne tenir aucun compte du respect d'autrui.
- Limitations juridiques. Dans certains pays comme la France, le négationnisme (aussi appelé révisionnisme), qui conteste l'existence ou l'ampleur des crimes nazis, est un délit. Il est considéré comme une insulte à la mémoire collective que de soutenir des opinions qui contredisent des faits attestés ayant modifié l'image que l'humanité se fait d'elle-même. La loi Gayssot fixe un cadre dans lequel la propagation d’idées négationnistes se voient sanctionnée; de même, la pénalisation de l'incitation au suicide interdit la propagande pour le suicide (elle a eu notamment pour conséquence le retrait du commerce du livre Suicide, mode d'emploi).
- limitations scientifiques. Dans le domaine des sciences exactes, certains éléments du savoir ne souffrent guère contestations : ce sont les définitions admises en mathématiques, les calculs qui en résultent, les propriétés des objets mathématiques. On peut toujours penser ce que l’on veut, mais les trois angles du triangle feront toujours 180° dans la géométrie d’Euclide. La racine carrée de 4 n’est pas 3. Dire le contraire exclut la compréhension de la nécessité logique qui conduit à l'énoncé de cette catégorie de vérité. De même pour les propositions qui découlent de la structure de notre savoir actuel en physique et en biologie. On ne peut penser n’importe quoi dans ces domaines malgré l'affirmation créationnistes. Toute théorie nouvelle doit faire ses preuves et tenir compte du savoir établi. Même si l'interprétation officielle de la Bible soutenait que la terre est plate, l’astronomie montre qu’elle est ronde.
- Limitation posée par la reconnaissance des faits. Difficile de penser contre la réalité sans s’enfermer dans des illusions même s'il ne s'agit pas de légiférer sur le fantasme et le rêve.
[modifier] Sujets tabous
D’un côté, le droit de chacun à la liberté de penser laisse à chacun le droit de penser ce qu’il veut, mais il serait possible d’abuser de ce droit, dans l'expression des fruits de cette pensée. La tentation est forte d'usurper le droit d’obliger qui que ce soit à penser comme nous. Ici, on rappelle d'ordinaire la phrase attribuée à Voltaire :
« Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites mais je me battrai pour que vous puissiez le dire librement.»
On peut toujours proclamer en l’air que chacun a droit a sa liberté de pensée tout en continuant à regarder d’un mauvais œil celui qui a des opinions différentes des siennes.
Le conditionnement culturel ne doit pas être sous estimé qui fait regarder d’un mauvais œil une pensée étrangère aux lieux communs. Pourtant, différent ne veut pas dire absurde.
La liberté de penser repose sur l'éducation et la culture qui forment une pensée mûre, l'esprit critique et le jugement, et la responsabilité, c'est-à-dire les éléments de l'autonomie du citoyen, laquelle garantit la vitalité de la démocratie
[modifier] Citations
Il ne faut que peu d’hommes pour réduire un pays en servitude, cinq ou six, aux côtés du tyran suffisent, si le peuple se laisse soumettre et abdique devant la force. Le consentement à la servitude se situe dans la conscience d’un peuple. C’est ce consentement qui invite l’autorité tyrannique Discours de la servitude volontaire - Étienne de La Boétie
Les peuples applaudissent quand vient leur parler celui qui promet, de façon musclée, de « rétablir l’ordre ». Pour mettre fin à l’insécurité et au désordre, le peuple invite celui qui a inventé le désordre et se présente comme le champion du nouvel ordre. anonyme.
Vous avez tort parce que vous êtes minoritaires Staline