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Fenêtre sur cour

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Fenêtre sur cour (Rear Window dans la version originale) est un film américain réalisé par Alfred Hitchcock, sorti sur les écrans en 1954.

Sommaire

[modifier] Synopsis

L.B. Jeffries, photographe professionnel, se retrouve cloué dans un fauteuil avec une jambe dans le plâtre. Peu habitué à une vie sédentaire, il trompe son ennui grandissant en observant la cour intérieure depuis la fenêtre de son appartement. Progressivement obsédé par la vie de ses voisins, il soupçonne un représentant de commerce d'avoir fait disparaître sa femme. Après d'énergiques reproches concernant son comportement, Lisa, sa bonne amie et Stella, l'infirmière de compagnie d'assurance aident "Jeff" à résoudre cette mystérieuse affaire...

[modifier] Fiche technique

[modifier] Distribution

[modifier] Autour du film

  • Caméo : à la 25e minute, Hitchcock est visible jouant le rôle d'un personnage qui répare la pendule dans un des appartements faisant face à celui de Jeffries, pendant qu'une personne joue du piano.

[modifier] Commentaire

[modifier] Analyse critique féministe

[modifier] Plaisir scopophilique

Fenêtre sur Cour fonctionne en grande partie sur le modèle champ / contre-champ. (... Un) homme immobile regarde au dehors. C’est un premier morceau de film. (Un) deuxième morceau fait apparaître ce qu’il voit et [un] troisième montre sa réaction. La caméra subjective est dès lors utilisée tout au long de l’histoire. Ce n’est qu’à la fin que s’installe la caméra dans la cour, selon un principe hitchcockien préférant garder des images en réserve pour le moment le plus dramatique. L’espace est alors vu sous plusieurs angles, devenant ainsi objectif.

Le film met en scène le voyeurisme ou, pour reprendre le terme utilisé par Laura Mulvey, le regard scopophilique (le plaisir de regarder). Il s'agit d'une pulsion sexuelle indépendante des zones érogènes où l'individu s'empare de l'autre comme objet de plaisir qu'il soumet à son regard contrôlant. Immobilisé par un plâtre à la jambe, un reporter photographe passe son temps à observer au téléobjectif ses voisins d’en face. Il y observe un catalogue de comportements, d’histoires ayant pour point commun l’amour.

Attention : ce qui suit dévoile tout ou partie de l’œuvre (explications) !

Bientôt, il acquiert la conviction qu’un homme a tué sa femme et il fait part de ses soupçons à son amie et à un copain détective. La suite des événements lui donne raison et, finalement, l'assassin traverse la cour et vient précipiter le reporter à sa fenêtre. Le premier sera arrêté, Jeff s’en tirera avec une deuxième jambe dans le plâtre.

[modifier] L’homme est le médiateur du regard du spectateur

Dans un article paru en 1975, « Visual Pleasure and Narrative Cinema », Laura Mulvey s’appuyait sur la psychanalyse pour comprendre la répartition des sexes dans le cinéma classique hollywoodien. « Dans un monde gouverné par l’inégalité des sexes, le plaisir de regarder se partage entre l’homme, élément actif, et la femme, élément passif.» Elle ajoutait que la présence visuelle de la femme « tend à empêcher le développement de l’intrigue, à suspendre le cours de l’action en des instants de contemplation érotique. »

Elle a défini deux types de regard : tout d’abord scopophilique, nous l’avons déjà abordé plus haut, ensuite narcissique. Ce dernier correspond à une identification : l’écran devient le reflet de soi, plus précisément d’un idéal de soi. Généralement, la femme est présentée comme objet du regard mis en spectacle (plaisir scopophilique) et l’homme comme porteur de ce regard, auquel le spectateur masculin s’identifie (plaisir narcissique).

Parlant de Fenêtre sur Cour, Laura Mulvey rappelle l’analyse de Jean Douchet : celui-ci voit le film comme une métaphore du cinéma. Jeffries est le public, les événements qui se déroulent dans l’appartement d’en face correspondent à l’écran. Quand il épie par la fenêtre, son regard, élément central du drame, en acquiert une dimension érotique. Tant qu’il restait du côté du spectateur, son amie Lisa l’ennuyait, il n’éprouvait qu’un faible désir sexuel à son égard. Lorsqu'elle franchit la barrière entre sa chambre et le bâtiment d’en face, leur relation retrouve une dimension érotique. (...) [L’inactivité forcée de Jeff] le cloue à son fauteuil comme le spectateur de cinéma, et le met carrément dans la position fantasmatique occupée par le public.

[modifier] Une femme supérieure au héros

Dans un chapitre entièrement consacré au film, Tania Modleski s’étonne que « Lisa Freemont est tout sauf sans défense et incapable, en dépit de la caractérisation qu’en donne Mulvey — image passive de perfection plastique — et c’est là, ajoute Modleski, que réside le problème » Elle concède que le jugement de Mulvey se base avec raison sur le fait que Lisa entretient une obsession pour les vêtements à la mode, et qu’elle se met sans cesse en scène pour Jeff. À la différence de Mulvey, elle ne généralise pas, et s’explique : " Raymond Bellour a montré comment, dans le cinéma narratif classique, une opposition binaire entre le mouvement et la stabilité fonctionne généralement pour établir la supériorité masculine. Dans Fenêtre sur cour, cependant, c’est la femme qui est montrée sans cesse comme physiquement supérieure au héros, non seulement par ses mouvements, mais aussi par sa domination dans le cadre : elle se dresse au-dessus de lui dans presque tous les plans où ils sont ensemble. "

Tania Modleski voit dans ce film, et plus particulièrement dans la scène de la bague au doigt, comme « des oppressions de toute sortes que les femmes subissent de la part des hommes. » Le film révélerait, selon Modleski, que « la féminité acceptable est une construction du désir narcissique masculin », ainsi que « la différence est nécessaire pour que le cinéma vive, qu’elle ne puisse donc jamais être détruite mais seulement niée sans cesse.  » Et de remarquer que ce soit à Lisa que le film donne son dernier regard.

Enfin, Tania Modleski montre que le film met l’accent sur un double point de vue, puisque dans les contrechamps nous trouvons et Lisa et Jeff dans l’embrasure de la fenêtre en train d’observer fixement les voisins d’en face. Il est donc possible, selon elle, de tenir Lisa pour la représentante de la spectatrice de cinéma . Par ailleurs, Modleski remarque que Lisa et Jeff ont des interprétations très différentes de ce qu’ils observent. Il n’y a pas de regard masculin unique. Le spectateur voit en effet, en caméra subjective, à travers une multiplicité de regards. Mais ceux-ci ont pour origine le même point de vue : la fenêtre de l’appartement de Jeff. Pourtant chaque personnage — chaque spectateur — ne voit pas la même chose.

[modifier] Homme passif, femme active

« La division entre spectacle et récit conforte l’homme dans le rôle actif de celui qui fait progresser l’histoire.  » La répartition des rôles est, nous l’avons vu, très nette au début du film. L’homme aventurier et la femme top modèle semble accréditer la dichotomie « homme actif/ femme passive » de Laura Mulvey. Nous avons rapidement abordé la nuance apportée par Modleski. Voyons comment le déroulement du film va jouer avec la théorie de Laura Mulvey.

L’histoire, d’un paternalisme classique au début, va en effet se trouver devant un dilemme : l’homme se devant d’être actif est coincé, la jambe dans le plâtre. Lisa est donc chargée d’agir à sa place. La répartition des regards s’en trouve dès lors modifiée. Qui s’identifie à qui, qui regarde qui ? Lisa, objet théoriquement du regard scopophilique de Jeff, va mener l’action. Nous avons donc, nous spectateurs, tendance à nous identifier à elle. Nous lui portons le même regard narcissique que celui que nous portons sur le héros. Un regard donc double sur Lisa : narcissique et scopophilique.

Jeff, quant à lui, ressent une empathie très forte lorsque Lisa se trouve dans l’appartement du meurtrier. Dans le contexte particulier de Fenêtre sur cour, et après avoir noté la métaphore de Jean Douchet, nous pouvons dire que Jeff porte également un regard narcissique sur elle. Dans la position d’un spectateur de salle de cinéma, Jeff s’identifie à Lisa. Un précédente scène montrait qu’il s’y identifiait déjà : « Nous allons lui faire peur encore une fois », assure Jefferies à Lisa et Stella réunies à ses côtés. Il ajoute : « Quand je dis “nous”, c’est vous qui prenez les risques ! »

Notons qu’il avait précédemment nié tout regard scopophilique sur Lisa. Il se moquait de ses robes à 1100 dollars et hésitait à se marier, elle étant « trop parfaite ». Ce n’est qu’en étant elle qu’il l’aime. C’est d’ailleurs au moment où il s’identifie à elle qu’il lui passe symboliquement la bague au doigt ! Elle réussira à se faire épouser. C’est aussi le moment que choisit le meurtrier pour tourner les yeux vers Jeff. Il avait Lisa, il aura celui qui s’y identifiait.

[modifier] Un point de vue, un hors-champ, une intrigue

Communs à tous les personnages sont leur point de vue unique —la fenêtre— et ce qu’ils ne voient pas. L’importance de la multiplicité non seulement des regards mais aussi des points de vue est mise en valeur. Car l’ubiquité n’est d’aucun secours si l’on regarde mal ou que l’on ne sait pas quoi regarder. De même, la multiplication des regards est inutile s’ils ciblent tous la même chose.

Jeff avait vu l’alliance, non son importance. Lisa et Stella lui apportent un regard nouveau, indiquant la valeur de l’objet : « Il faudrait me couper le doigt pour me la prendre », explique Stella. L’objet prend un sens différent pour qui le regarde, et devient ou non un indice pour le récit. Le regard de Jeff s'enrichit des autres, jusqu’à trouver nécessaire celui de Lisa, pour finalement accepter, tout semble l’indiquer, de l’épouser. Il y a donc une évolution du regard masculin de plus en plus enclin à s’intéresser aux autres regards, ici féminins.

Le point de vue, par contre, ne change presque jamais : toujours la même fenêtre de Jeff. La caméra ne veut jamais suivre Lisa ou Stella, de prendre leur point de vue hors de l’appartement. C’est sur ce refus que se base toute l’histoire : une multiplication de regards ciblant la même chose, et donc le même hors-champ. C’est ce dernier qui mène indirectement le récit par la volonté des personnages de le connaître. L’homme n’a plus la possibilité classique d’être seul à pouvoir connaître ce que le spectateur ne voit pas, et donc d’agir en fonction. Il voit avec les yeux de quelqu’un d’autre, en l'occurrence ici, d’une femme.

[modifier] Un film paternaliste

Nous avons vu comment ce film, d’un début très classique, modifie petit à petit la répartition des rôles pour finalement pouvoir être considéré comme émancipateur. Mais en rester là serait faire preuve de naïveté. Car ce film n’a lieu d’être que dans une société patriarcale. Il se fonde entièrement sur le fait qu’un homme ne pouvant plus se mouvoir agit via des personnes interposées. Que ce soit des femmes qui agissent explique que le point de vue se borne à rester fixe, fidèle à la répartition classique des genres. Elles ne peuvent qu’être l’objet du regard. Lisa bénéficie, il est vrai, d’un regard narcissique, mais c’est un regard de pacotille. On ne bénéficie de son point de vue que lorsqu’il est plus ou moins comparable à celui de Jeff. On ne voit pas avec ses yeux lorsqu’elle se trouve dans l’appartement de Lars Thorwald.

Le point de vue principal reste celui de Jeff. Laura Mulvey avait en partie raison : l’homme reste « le médiateur du regard du spectateur.  » Mais lorsqu’il n’y a plus d’homme pour regarder, sommes-nous condamnés à être aveugles ? C’est sur ce point que Fenêtre sur Cour montre l’absurdité du point de vue unique, mais également l’importance de cette absurdité pour l’intrigue. Car l’important n’est pas ce que l’on voit, mais ce qu’on ne voit pas. L’homme n’a plus la possibilité classique d’être seul à pouvoir connaître ce que le spectateur ne voit pas, favorisant l’identification. Il est ici dans la même position que le spectateur : il s’imagine ce qu’il va se passer. C’est le propre du suspense.

[modifier] Bibliographie

  • Laura Mulvey, “Visual Pleasure and Narrative Cinema”, Screen, 16:3, Autumn 1975, traduction partielle in Ginette Vincendeau et Bérénice Reynaud, « Vingt ans de théories féministes sur le cinéma », Cinémaction, numéro 57, 1993. http://www.panix.com/~squigle/vcs/mulvey-vpnc.html
  • Tania Modleski, Hitchcock et la théorie féministe, Les femmes qui en savaient trop, traduit de l’américain par Noël Burch, Éditions L’Harmattan, Paris, 2002. (Première édition en anglais, 1988)
  • Émile Baron, « Regard, féminisme et avant-garde » [Sur Riddles Of The Sphinx de Laura Mulvey et Peter Wollen], Cadrage, Internet, http://www.cadrage.net/dossier/regardfeminisme/regardfeminisme.html, Juin-Juillet 2001.

[modifier] Liens externes

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